mercredi , 1 mai 2024
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André Resampa, juriste en droit public, nous livre son analye concernant l'arrêt de la Cour Suprême portant sur l'annulation de la nommination des membres de la HCC par Ratsiraka en novembre 2001.

André Haja Resampa, Quand le droit reprend ses droits


André Haja RESAMPA est Juriste en droit Public, membre chercheur du Centre de recherches et d’études des droits de l’Homme (CREDHO) de l’Université de Rouen. Il est titulaire
d’une maîtrise en administration, d’un DEA en droit public «théorie politique et juridique», et d’un DESS en politiques sociales.

La Cour Suprème, par son arrêt du 10 avril, a annulé la nomination des juges de la Haute Cour Constitutionnelle, juges qui ont validé les résultats contestés du premier tour des élections présidentielles malgaches. Pourquoi maintenant, le camp de Marc Ravalomanana, dépose-t-il un recours en interprétation? Est-ce à dire que l’arrêt de la Cour Suprême n’était pas clair?



Le droit est une discipline qui, contrairement à l’idée souvent répandue, est en constante évolution. Le contenu du droit s’adapte ainsi au gré des nécessités économiques, sociologiques et surtout politiques. A priori, il n’y a donc rien d’inconvenant à puiser dans l’arrêt de la Cour suprême du 10 avril 2002, la réponse préconisée par le droit vis-à-vis des interrogations politiques actuelles. La seule difficulté, mais que l’on retrouve aussi dans tous les pays du monde, est que les analystes juridiques risquent de proposer des interprétations de cet arrêt aussi divergentes les unes que les autres. Or cet arrêt du 10 avril 2002, qui annule le décret du 22 novembre 2001 portant nomination des juges de la Haute cour constitutionnelle, doit être synonyme de solution et non de confusion auprès du peuple malgache.
Pour autant, la doctrine malgache, c’est à dire l’ensemble des opinions émises à propos du droit par les spécialistes (avocats, magistrats, enseignants chercheurs?), ne doit ni se taire, ni opter pour le déni de réflexion. Il ne faut pas oublier que ces professionnels du droit, compte tenu qu’ils respirent « l’air juridique » au quotidien, sont la meilleure source d’inspiration des nouvelles règles de droit et des nouvelles tendances jurisprudentielles. En d’autres termes, plus la doctrine sera tonique mais responsable, plus les juges disposeront de matière à inspiration.

En tout cas, pour conclure sur ce travail d’interprétation, il y a une hypothèse à ne pas sous estimer : « comme tous les magistrats, les juges de la cour suprême ne sont pas obligés (et nul ne peut les y contraindre) de préciser clairement les conséquences de cet arrêt du 10 avril, et cela même si un recours en interprétation leur est soumis! » Tout simplement parce que les juges de la Cour suprême sont libres d’estimer que le sens de cet arrêt est déjà contenu dans l’arrêt lui-même ! Il revient alors aux organes d’application (en l’occurrence le gouvernement et tous les responsables politiques) de découvrir le sens déposé dans l’arrêt par les juges de la Cour suprême. Toutes les juridictions du monde disposent d’une telle liberté de manoeuvre, mais il est vrai que le sens d’un arrêt, et c’est le cas concernant cet arrêt de la Cour suprême, n’est pas toujours immédiatement perceptible. D’où l’intérêt de laisser vivre la doctrine (soit l’avis des professionnels du droit), car elle contribue fortement à rechercher l’intention des juges, en procédant par exemple à une analyse grammaticale de l’arrêt, ou si besoin à une analyse des débats préparatoires. Que la doctrine apporte donc sa contribution, mais qu’elle précise préalablement et clairement que si les juges en viennent à une interprétation claire et sans ambiguïté, c’est cette interprétation des juges qui devra prévaloir sur toutes les autres. Si elles s’inscrivent dans cet état d’esprit, les interprétations peuvent être nombreuses, mais elles doivent rester cohérentes et fiables, en s’astreignant à un raisonnement strictement guidé par «le bon sens ».



Quelles sont, selon vous, les leçons principales à tirer de l’arrêt de la Cour suprême?



Il est évident que l’arrêt de la Cour suprême du 10 avril 2002 confirme aux yeux de la Communauté internationale, d’une part la légitimité de la désobéissance civile du peuple malgache, et d’autre part la légitimité de l’accession de Marc Ravalomanana à la Présidence de la République.

Pour bien appréhender cet arrêt à sa juste valeur, il faudra d’abord l’éclairer sous un angle strictement juridique, avant de le replacer dans le contexte politique actuel. Révolu est le temps de la transcendance du politique sur le droit, et c’est donc l’environnement de cet arrêt qui pourra éventuellement exercer une influence sur la crise et la solution politique, et non le contraire.

Il n’est même pas nécessaire de présenter ici une démonstration juridique complexe et hermétique pour les profanes, tant il suffit simplement de se poser la question logique consistant à savoir s’il est admissible qu’un arrêt rendu au nom du peuple malgache, ne soit pas signé ? Evidemment non, et c’est pour cette raison que l’arrêt du 25 janvier 2002, proclamant les résultats du premier tour, est incontestablement nul et sans valeur car il n’est pas signé, étant donné que les juges sensés lui conférer une valeur juridique de par leurs signatures, n’ont en fait jamais existé « juridiquement » en tant que juges constitutionnels!
Sur ce point, il n’y pas de nuance à préciser concernant le fait que le décret annulé concernait seulement tels ou tels juges composant la HCC; car s’agissant d’une juridiction collégiale, elle est incompétente dès lors que son indivisible collégialité est entamée par l’absence ou la révocation rétroactive, ne serait-ce que d’un seul de ses membres !



Dans ce cas, est-ce que les résultats des élections du 16 décembre sont encore valables?



S’il faut considérer que ces juges n’ont jamais existé, il faut donc aussi considérer que tous les actes de droit dont ils sont à l’origine n’ont également jamais existé ! Autrement dit, on peut aujourd’hui affirmer, sans que cela prête à sourire, que les résultats du premier tour n’ont pas encore été proclamés, et que les recours en disqualification du candidat Ratsiraka n’ont pas encore été rejetés.



Cette vision n’est-elle pas contestable?



Il est difficile d’opter pour un autre raisonnement, car sur ce point les règles classiques du droit public et la doctrine juridique internationale sont formelles : « l’annulation d’un acte de nominations formé irrégulièrement, a pour conséquence la disparition rétroactive de ces nominations ainsi que des actes pris dans ce cadre, et suppose en définitive un retour à l’exacte situation antérieure ».

Même en l’absence d’une jurisprudence ou d’un exemple similaire dans l’architecture constitutionnelle malgache, l’enchaînement juridique propose deux cas de figure qui ne se prêtent pas à la polémique et à la controverse politico-juridique : « soit
les juges constitutionnels qui étaient en place avant le décret annulé sont réintégrés dans leurs fonctions, étant donné qu’en raison de cette annulation, ils sont considérés comme n’ayant jamais été démis de leurs fonctions et qualités de juges constitutionnels, soit le Président Ravalomanana enclenche le processus constitutionnel de nomination d’une nouvelle HCC ». Rien ne s’oppose à cette seconde alternative, car la Constitution le lui permet.

Il appartiendra alors à cette HCC, qu’elles soient composées des anciens juges ou de nouveaux juges nommés par les institutions et gouvernants actuels, de recevoir tout le contentieux constitutionnel depuis le 22 novembre 2001, puis de procéder en son âme et conscience, à toutes les investigations qu’elle jugera utile en matière électorale.



D’après vous, laquelle des deux solutions sera choisie et pourquoi?



Certains s’empresseront de dire que si le Président Ravalomanana accepte l’idée selon laquelle cette « HCC régulière » va enfin proclamer les vrais résultats, cela signifierait qu’il accepte implicitement de redescendre au statut de simple candidat ! Non, cela est faux. Le statut présidentiel de Marc Ravalomanana restera inchangé, car son cheminement vers la Présidence de la République et son investiture avaient été inscrits dans un processus légitime organisé par le peuple, et non dans un processus légal organisé par la Constitution. Alors il n’y a pas de raison de mélanger ce qui est différent, car la « HCC régulière » se prononcerait éventuellement sur le processus légal électoral organisé par la Constitution (processus qui avait été vicié par le régime sortant) et ne vient en aucun cas remettre en cause le processus légitime organisé par le peuple, et qui avait porté Marc Ravalomanana à la Présidence de la République.

Néanmoins, il est fort probable que le r&eacute
;gime sortant conteste une fois de plus, sans fondement, la régularité du processus qui sera engagé suivant l’esprit de cet arrêt de la Cour suprême. On doit s’attendre à cette éventualité car, un tel processus risquerait effectivement de réduire à néant aux yeux de la Communauté internationale, l’argument favori du régime sortant qui consiste à se réfugier derrière la légalité constitutionnelle.
Compte tenu de cette probabilité, à laquelle s’ajoute la criticité de la situation globale, nul n’ignore que le temps de la fermeté est aussi venu, bien qu’il faudra laisser parallèlement au droit la chance d’apporter une solution à la crise politique. Tout le peuple malgache sans distinction doit donc se rassembler plus encore autour du Président Marc Ravalomanana et du Premier ministre Jacques Sylla. Cette cohésion a autant de sens aujourd’hui, qu’elle en avait hier sur la place du 13 mai.

Nul ne doit faiblir, ni dans l’intensité et la loyauté de son soutien au Président Ravalomanana, ni dans sa contribution personnelle à la normalisation de la situation politique à Madagascar. Viendra le temps où ceux qui trouveront matière à objections dans les choix et orientations politiques seront admis à s’exprimer autant qu’ils le souhaiteront, car c’est cela aussi la démocratie, et le Président Ravalomanana est un démocrate. Mais aujourd’hui, ce qui est important c’est d’en finir avec cette crise politique et institutionnelle, quelques soient les moyens pour y parvenir, aussi violents soit-ils.



Faut-il pour autant sortir de la non-violence qui caractérisait le mouvement à l’origine?



On ne peut que déplorer qu’il en soit ainsi, et que l’on soit obligé d’accepter une telle fatalité. Mais nul n’ignore que le gouvernement a préalablement tout mis en oeuvre, pour « éviter l’inévitable » recours à la force. Indépendamment des considérations économiques et sociales, il faut que chaque malgache prenne conscience sans réserves, du fait que « plus tôt on parviendra à museler les ennemis de la Nation, quitte à recourir à une « violence légitime », moins il y aura en définitive de victimes à déplorer ».



Est-ce que la communauté internationale et l’OUA peuvent apporter une solution à la crise actuelle?



En ce qui concerne la Communauté internationale dont l’OUA, on ne peut pas accepter qu’elle reconnaisse le « putsch électoral » de Robert Mugabe au Zimbabwe, et qu’elle refuse de reconnaître le pouvoir légitime fondé sur des bases électorales favorables, évidentes et vérifiables du Président Marc Ravalomanana !

En tout cas, cette Communauté internationale serait bien mal placée pour reprocher au gouvernement de Jacques Sylla d’en arriver à cette fermeté vis-à-vis du régime sortant ; car c’est cette même Communauté internationale, conformément à l’esprit de ses théoriciens comme Max Weber, qui clamait à qui voulait l’entendre que « l’Etat peut recourir à la violence légitime dont elle détient le monopole, si cela coïncide avec l’intérêt de la Nation»

Recourir à la force dans le contexte actuel ne relève donc pas de l’inconscience, mais au contraire de la sagesse. Malgré cela, on ne doit pas oublier qu’une victime, quelque soit son opinion politique, est déjà une victime de trop! D’où l’intérêt d’un soutien sans failles au gouvernement pour qu’il en finisse au plus vite, mais sans précipitation, dans la lignée de ce dont il a toujours fait preuve jusqu’à ce jour.



Quel est, selon vous, la portée symbolique du mouvement malgache?



Le peuple malgache a toujours été un peuple simple, mais fier et déterminé. Aujourd’hui, il peut être d’autant plus fier de sa lutte politique, car il est le guide-précurseur d’une approche moderne, noble et pure de la notion de démocratie, qui devrait s’imposer progressivement à travers le monde pour le siècle en cours.

N’étant ni dupe ni naïf, on a compris que même si aujourd’hui, la Communauté internationale se cache encore derrière un silence assourdissant
pour ses propres oreilles, elle sait pertinemment que l’avènement du Président Ravalomanana a toujours été guidé par la lumière chrétienne de sa foi en Dieu, mais également par la lumière juste de son aspiration et de son respect pour la justice des hommes.

Mais, ô combien, il est difficile pour certains occidentaux de recevoir ainsi une telle leçon de démocratie effective, lorsque pour une fois l’exemple de référence ne provient pas d’un pays occidental!


interview réalisé le 13 avril