vendredi , 3 mai 2024
enfrit
R. est un agent des douanes qui a l'habitude de "mettre la main dans le sac". Son horizon risque pourtant de s'assombrir si le nouveau régime arrive à tenir parole: éradiquer la corruption. Récit.

Sale temps pour les affairistes à l’ère du « fahamarinana&quot

Le « fahamarinana » (vérité) et la lutte contre la corruption tant prônés par le régime n’arrangent pas la vie des corrupteurs et des corrompus. Depuis le début de la campagne, leur revenu ne cesse de baisser. Le cas d’un douanier est significatif. Appelons le R. Il travaille dans un des ports de Madagascar
depuis 5 ans. Il prend en charge le loyer et les frais de scolarité de ses 4 enfants qui fréquentent des Grandes Ecoles supérieures privées de la capitale.


Son seul salaire qui ne dépasse pas le seuil de 400.000 Fmg (59 euros) ne lui permet pas beaucoup de chose si l’on se réfère au pouvoir d’achat des malgaches. Pourtant, R. dispose d’une belle maison à deux étages bien meublée, entourée de beaux jardins, deux voitures dont une neuve, d’un terrain de 800 m². « Je l’ai eu quand les affaires marchaient encore » avance-t-il. « Les affaires », ce sont les pots de vins du métier. « Je ne me souviens pas avoir eu des problèmes d’argent depuis que je suis agent des douanes. J’ai pu bâtir ma maison en 9 mois, d’un seul trait »,
revèle-t-il.


R. admet qu’il obtient ses revenus à l’irrégulière. « Pour une « opération », je peux gagner jusqu’à 2 millions de Fmg (294 euros), 4 millions de Fmg (588 euros), voire plus. Au minimum 500.000 Fmg (73 euros). En moyenne, je gagne environ 12 millions Fmg par mois (770 euros) » poursuit-il. L’affaire consiste entre autre à « faciliter » la sortie de voiture au niveau de la douane. Normalement, une telle opération dure environ deux jours, « je peux le faire en une demi-journée en m’occupant personnellement des
paperasses. Je les emmène en main propre aux responsables concernés. Ces derniers sont dans le coup ». Le partage se fera après traitement du dossier.

Le mode de tarification est progressif. C’est-à-dire que le « prix » est fixé à la « tête du client ». Pour les Malgaches important un seul véhicule, nous avons une fourchette allant de 500.000 à 1.000.000 Fmg (73 à 147 euros) environs. Mais quand il s’agit des affairistes, souvent des étrangers, des indo-pakistanais, nous leur imposons de 2 à 5millions de Fmg (294 à 735 euros) selon la difficulté du traitement », explique R. « Parfois, nous n’avons pas besoins de tendre la main. Ce sont les clients qui proposent », dit-il.

Falsification payante

Simplifier le traitement de dossier est une chose et faciliter la sortie d’un certain nombre de véhicules
en est une autre. La règle est la même: il faut payer. Complices, le douanier et le propriétaire d’une ou de plusieurs voitures à
dédouaner se mettent d’accord sur une fausse déclaration de l’argus, relatif à la date de mise en circulation
de la voiture. La pratique consiste à « viellir » le véhicule de cinq à dix ans années. Dans ce cas, la différence de prix entre la taxe douanière réelle et celle déclarée ainsi réduite, est partagée entre l’agent et le client. Une vieille habitude.

Au cas où cette « procédure » serait trop flagrante, R. explique qu’il trouve toujours des moyens pour alléger les taxes douanières en falsifiant la carte grise. « Si la
voiture est de 1995, nous, le client et moi, photocopions la carte grise, gommons l’année de sortie de la copie pour la remplacer par 1985 et dupliquons enfin cette dernière pour que la
rature ne soit pas trop manifeste. La photocopie étant
gardée par la douane et l’original par le propriétaire », révèle de son coté un petit importateur de voiture.

Que faire avec un salaire de misère?

Depuis le lancement de la campagne de lutte contre la corruption, R. s’inquiète. Plus de gratification, plus de bakchich. « Mon salaire actuel ne nous suffira jamais. Ce que je touche de l’Etat est de l’argent de poche. Où voulez-vous que je trouve le loyer de mes enfants, leurs écolages mensuels, leur
nourriture, leur fourniture « , se lamente R. Au mois d’aout, il a déjà vendu l’une de ses 2 voitures pour que ces enfants puissent poursuivre leurs études au sein des instituts privés de la capitale. Par ailleurs, il est sur le point de renvoyer trois domestiques. « Je n’arrive plus à payer les salaires de mes deux chauffeurs et de la femme de ménage. Il vaut mieux qu’ils partent d’ici ». La pire crainte de R., est de devoir vendre tout ce qu’il possède.

« Mes ressources ne me permettent plus d’entretenir ma nouvelle voiture, la seule qui me reste » s’inquiète-t-il. « Je ne suis pas contre l’éradication de la corruption. Mais si je me contente de mon salaire mensuel, je ne m’en sortirai jamais. Il faut alors des mesures d’accompagnement tels que la hausse des salaires, l’octroi d’un certain nombre d’avantages socio-économiques aux méritants comme les primes. Sinon, la tentation restera la plus forte », propose R. Et de conclure :  » Moi je veux encore garder mon travail. D’un coté j’ai peur d’être surpris en flagrant délit. De l’autre, j’avoue qu’elle embête les gens souvent. C’est dur mais c’est aussi une habitude de corrompre. La corruption ne sera totalement éradiquée
que si le changement de comportement requis est accompagné de motivations conséquentes ».