samedi , 20 avril 2024
enfrit
Madonline.com a interviewé le Professeur Jean-Pierre Raison, géographe bien connu des Malgaches, sur la crise actuelle.Cette interview est diffusée ici en 3 parties.

Interview: Jean-Pierre Raison (1)

Né en 1937, ancien élève de l’École
normale supérieure, agrégé, docteur d’État
avec une thèse sur Les Hautes Terres de Madagascar,
Jean-Pierre Raison est professeur émérite à
l’université
Paris X Nanterre. Il a publié des
ouvrages sur l’Afrique et travaille sur la population et le
développement rural. » Jean-Pierre Raison a toujours gardé
un contact avec Madagascar. Nous l’avons interrogé sur la
crise actuelle.

1. Pouvez-vous nous donner votre avis sur l’origine de ce
malaise et de cette crise ?



Il faudrait démêler court terme et long terme. Et
dans le long terme où commencer ?


Le court terme, on le voit assez bien :


– la dimension politique : un régime de plus en plus
autoritaire et corrompu, une  » fin de règne  »
avec un président malade. Et en même temps subsiste,
dans ce cadre de  » dictature  » une étonnante
liberté de la presse (pour ceux qui peuvent en bénéficier)
et une ouverture croissante au monde d’un pays très longtemps
fort  » insularisé  » et replié sur
lui-même. Ouverture principalement appuyée par la
 » révolution  » de 1991 et le régime
d’Albert Zafy.


– la dimension économique : comme il est fréquent
d’ailleurs, la crise éclate avec le maximum de vigueur là
où, économiquement, cela va le moins mal, la région
de Tananarive, où l’activité a repris et qui est plus
que jamais le  » moteur  » du pays. Le mouvement,
avec ses aspects unanimistes, fait d’une certaine manière
l’impasse sur les clivages sociaux : enrichissement croissant
des plus riches, laminage des classes moyennes, prolétarisation
(mais être prolétaire est mieux qu’être sans
emploi). Comme si, et ce n’est pas faux, l’ensemble du  » système  »
de l’économie nouvelle (et le système social qui y est
lié) ne pouvait plus s’accommoder du politique prédateur,
dictatorial et inefficace symbolisé par le régime
Ratsiraka.


– la dimension sociale et culturelle : comme bien d’autres,
mais avec peut-être avec une acuité particulière,
les Malgaches sont pris entre un fort désir de retour à
l’autochtonie, aux racines culturelles et religieuses et un désir
très fort (relativement nouveau) d’ouverture au monde :
le désir de maîtriser cette ouverture explique
d’ailleurs sans doute en partie le retour aux racines.






Cela dit, on ne peut faire l’économie de retours en
arrière. Le mouvement actuel innove mais il accentue aussi et
il s’inscrit également dans une certaine continuité.


a) L’innovation :


– un conflit à
la suite d’un premier tour d’élection, ce qui ne fut le cas ni
en 72 ni en 91.


– un conflit ouvert
conduisant au bord de la sécession, alors que le déroulement
du premier tour semblait l’exclure : une large partie de
l’électorat  » côtier  » acceptant
l’idée d’un président merina, de très bons
résultats pour Ravalomanana dans les villes côtières
(là où le vote était moins truqué).


– une dimension
 » internationale  » marquée, l’intervention
de l’UE, de l’OUA, des Etats-Unis, des étrangers non français
de la  » société civile « . On est
aux antipodes de 1972 et du face à face avec  » l’impérialisme
français « , même s’il en reste des traces.


– une dimension
économique internationale : le développement de la
Zone Franche y est pour beaucoup.





b) L’accentuation :


– c’est notamment le rôle des églises chrétiennes,
qu’on aurait pu croire échaudées par l’expérience
de 1991, et qui se sont engagées au-delà de ce qu’on
pouvait penser (et sans doute du souhaitable). Cela ne tient sans
doute pas seulement à la position de Ravalomanana dans la
FJKM. Certaines manifestations ( » exorcismes  »
lors de l’occupation des ministères, pour lutter contre les
forces maléfiques des  » ombiasy  » de
Ratsiraka) seraient intéressantes à analyser. D’autant
qu’elles vont plutôt à contre-sens d’une tendance
lourde : le  » métissage  » ou la
juxtaposition sans contradiction ressentie de pratiques chrétiennes
et de pratiques traditionnelles.


– c’est aussi la mobilisation d’une part de la  » société
civile « , la multiplication des forums, des pétitions,
le développement du  » lobbying  »
international. Internet est passé par là?Et aussi
l’ouverture au monde via les ONG, inconnues dans les années
60-70 bien plus qu’en Afrique, seulement naissantes dans les années
1980.






c) La longue durée :


– c’est d’abord l’évolution dans le long terme de
l’économie malgache : la somnolence de l’époque
Tsiranana, où les reconversions nécessaires ne sont pas
amorcées ; le  » socialisme scientifique  »
et son fiasco total conduisant au virage à 180° vers
l’économie libérale, sous des forme variées :
la récupération des entreprises publiques par des
grands du régime, l’économie et le racket
extractivistes – cf le saphir- mais aussi l’apparition de nouveaux
entrepreneurs internationaux via la Zone Franche.


– c’est l’évolution des équilibres régionaux :
les régions traditionnelles d’exportation (principalement la
côte Est) se consolident dans la crise ; le relais est
pris par des activités nouvelles, situées le plus
souvent ailleurs (la pêche et l’aquaculture ; l’industrie
d’exportation). D’où chez certains, malheureusement


– dans un tout autre domaine, c’est aussi, et on y reviendra plus
loin, la persistance du thème de la relation
France-Madagascar, voire la crispation sur ce thème





à suivre…