vendredi , 19 avril 2024
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Hery Rajaonarimampianina est-il un prédateur de la liberté de la presse ? Le chef de l’Etat a habilement tourné à son avantage l’embarras dans lequel son ami ministre d’Etat et chef de parti Rivo Rakotovao l’a mis. Aux yeux de l’opinion, ce n’est pas le procureur de la République ni les juges qui jettent les journalistes en prison mais les politiciens au pouvoir.

Liberté de la presse : les prédateurs et les victimes

« Moi en tant que président de la République, je suis contre l’emprisonnement des journalistes » ! C’est la phrase la plus importante qui a été prononcée autour de l’affaire Madagascar Matin. « Chaque citoyen a le droit d’être informé, il n’y a pas de contrôle a priori à part ce qui est dangereux », estime Hery Rajaonarimampianina. « Il y a beaucoup de gens qui me demandent s’il ne faut pas mettre des balises », confie-t-il, rappelant que selon la Constitution, « on garantit la liberté d’expression quand elle n’entrave pas celle des autres ». Il a souligné l’importance de la préservation de la paix sociale et du respect des institutions par les médias.

Les apparences sont sauves, mais le dénouement de l’affaire Rivo Rakotovao contre Jean Luc Rahaga et Didier Ramanoelina était prévisible. Difficile d’imaginer le président Rajaonarimampianina laisser trainer cette affaire alors qu’il allait présider le sommet des chefs d’Etat de la Commission de l’Océan Indien à Moroni, un évènement qui depuis a été reporté suite à l’absence du président français, François Hollande, dont de nombreux compatriotes a disparu dans l’accident d’un avion d’Air Algérie au Mali. C’est l’image de son régime accusée de dérive démocratique qui a été mise en danger par son super ministre.

Le chef d’Etat a eu la maladresse d’avoir mis en garde les journalistes, pour ne pas dire menacé, qui osaient le critiquer pour ses déplacements à l’étranger. La mobilisation tous azimuts pour soutenir Jean Luc Rahaga et Didier Ramanoelina a sans doute fait réfléchir et fléchir le régime. Même si pour le président, ce qui apparente à un ordre donné à Rivo Rakotovao et consorts de retirer la plainte pour diffamation est une preuve de grandeur et non pas de faiblesse, la pression de l’opinion a pour une fois fonctionné. Journalistes, étudiants, membres de la société civile et les incontournables politiciens champions de la contestation ont uni leur voix. Le régime a plus que jamais eu mauvaise presse.

Le courage et l’insouciance de Madagascar Matin

Pour rappel, le quotidien d’information Madagascar Matin a publié une lettre de lecteur qui a mis en cause les mauvaises pratiques du régime et soulevé des soupçons sur des actuels membres du gouvernement cité dans une note datant du gouvernement de transition. « Dès le début de l’enquête, on avait senti que tout était fait pour que cela se termine par la prison », a révélé Jean Luc Rahaga sur une radio privée après sa libération. Le Directeur de publication s’est dit étonné de la réaction du ministre d’Etat, officiellement la victime, qui avait déclaré avoir été touché en son honneur, ayant été traité de voleur, cité comme trafiquant de bois de rose. « Il n’y avait que trois lignes le concernant, cela parlait d’une valise et de larmes, en tout cas pas de bois de rose », s’est défendu celui qui est pénalement responsable de la publication.

Pour Didier Ramanoelina, c’est la liberté d’expression qui est en danger. « Quand il y a un journal qui ose publier une simple lettre de lecteur, on l’assomme de cette manière », soupire-t-il. Effectivement, la fameuse tribune a été envoyée à de nombreux médias. Certains n’ont pas osé publier, d’autres l’ont fait, mais en prenant soin de supprimer les noms des ministres. Il n’y a que Madagascar Matin qui l’a fait. Les avis sont partagés au sein même de la profession. Les uns saluent le courage du rédacteur en chef alors que d’autres lui reprochent de ne pas avoir pris en considération la conséquence de cette lettre qui allait mettre en péril sa personne et son journal. Ce procès a été un avertissement collectif à l’endroit des journalistes malgaches qui revendiquent plus que jamais la dépénalisation du délit de presse.