jeudi , 28 mars 2024
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Depuis plusieurs années, les grandes ONG internationales de défense des Droits de l'Homme luttent contre l'impunité des dirigeants, anciens dictateurs déchus, ayant pour la plupart pillé leur pays et commis des crimes contre l'humanité. En s'emparant des dossiers liés aux agissements criminels des alliés de Didier Ratsiraka pendant la crise 2002, la justice malgache a marqué un grand pas contre l'impunité dans la région Afrique même si, semble-t-il, les procédures judiciaires ne sont pas encore exemptes d'irrégularités.

Procès 2002, la lutte contre l’impunité passe-t-elle aussi par une justice imparfaite?

Le cas Tantely Andrianarivo


Dernier cas en date parmi les procès liés aux agissements des alliés de l’ancien Président Ratsiraka, le cas de l’ex Premier Ministre Tantely Andrianarivo a fait couler beaucoup d’encre. A l’aube de l’issue de son procès, en décembre 2003, Amnesty International (AI) a ainsi publié un rapport indiquant qu?elle craignait que la procédure judiciaire ne soit encore entachée d’irrégularités et réclamait une justice équitable pour les condamnations politiques.


Amnesty International s?inquiétait en effet en particulier du fait que la procédure judiciaire engagée contre Andrianarivo n?était pas adéquate pour le cas d’un Premier Ministre. Elle se faisait ainsi l’écho des craintes des avocats même de l’accusé. Cette question avait pourtant déjà été posée à la Haute Cour Constitutionnelle qui, par un verdict annoncé en juillet 2003 et en vertus des articles 47/48 du droit constitutionnel malgache, avait confirmé que le mandat du président Ratsiraka avait pris fin deux mois après le premier tour des élections présidentielles. Tantely Andrianarivo ne pouvait donc pas prétendre être Premier Ministre en vigueur au moment des faits qui lui sont reprochés. Il devait donc être jugé en tant que simple citoyen.


Ses mêmes avocats se sont plaints de n’avoir pu prendre connaissance de la date du procès qu’une semaine à l’avance et d?avoir eu de la difficulté à accéder au dossier. D’après AI il s’agit ici d’un exemple d?iniquité de la justice. Un des avocats a toutefois confirmé que la difficulté d’accès aux dossiers est une des lacunes connues de la justice malgache qui ne s’adresse pas uniquement au cas de l’ex Premier Ministre. Tantely Andrianarivo ayant eu recours à cinq avocats pour assurer sa défense a certainement eu plus de possibilités que la plupart des inculpés. 


Apparemment dans un état de santé critique, l?ex Premier Ministre a récemment été autorisé par le Président Ravalomananana à se faire soigner à l?étranger, conformément à la demande de ses avocats. Il devrait revenir à Madagascar à la fin de son traitement sous peine d’être considéré comme évadé.


L’ancien premier ministre s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la Cour Criminelle Ordinaire d’Antananarivo l’ayant condamné le 24 décembre à 12 ans de travaux forcés et 42  milliards de FMG d’amende.


Tantely Andrianarivo, avait été arrêté en juillet 2002 avec sept chefs d?inculpations dont l?usurpation de titre et le détournement de fonds se montant à 42 milliards de francs malgaches.


Condamnation des acteurs de la crise de 2002


L’ex-Premier Ministre n’est pas le seul membre de l’ancien régime à devoir faire face à la justice. A peine, un an après les dernières séries de crimes perpétrés par Ratsiraka et ses partisans pendant la crise de 2002, la justice malgache, en condamnant plusieurs personnages de l?autorité suprême du gouvernement Ratsiraka, veut démontrer aujourd?hui au monde entier que l?impunité n?est plus de rigueur à Madagascar. Ainsi, l?ancien président lui-même, a été condamné deux fois, au mois d?août à 12 ans de travaux forcés pour détournement de deniers publics, et, le 17 décembre dernier, avec les  gouverneurs des provinces autonomes poursuivis pour avoir déclaré l?indépendance des provinces portant ainsi atteinte à la sûreté de l?Etat.


Pierrot Rajaonarivelo, ex-Vice Premier Ministre a été condamné à 5 ans de prison par contumace pour usurpation de fonction en mars 2003.


Sophie Ratsiraka, fille de l’ex président, reconnue comme étant la principale commanditaire des dynamitages de ponts et des barrages érigés pour isoler la capitale a été condamnée avec comme pour atteinte à la sûreté de l’Etat à 5 ans d’emprisonnement ferme et 10 ans d’interdiction de séjour.


Le nombre impressionnant des avocats de la défense a souvent scandalisé les victimes qui n?ont souvent eu droit, faute de moyens, qu?à un avocat commis d?office.


A Madagascar, une large partie de l?opinion publique se félicite de la nouvelle image affichée par la justice malgache et notamment de la rapidité et de l? »efficacité » avec lesquelles sont menés ces procès difficiles.


Violation des droits de l?Homme à Madagascar, une longue histoire


Le gouvernement de l?ancien président Didier Ratsiraka, au pouvoir presque sans interruption de 1975 à 1999, a fait un long parcours dans l?impunité. L?appareil judiciaire malgache souffrait de nombreux dysfonctionnements sous son égide.  On se souvient du meurtre du président Ratsimandrava pour lequel, en 1975,  un long procès se déroula sous le directoire militaire sans qu?aucune lumière ne se fasse. Trop de groupes de pression, notamment financiers, pouvaient souhaiter voir disparaître cet homme, craignant de voir leurs intérêts fortement remis en question.


Ce crime auquel l?ancien président Ratsiraka ne serait pas forcément étranger furent suivis d?autres crimes démontrant plus directement son mépris de la justice et du droit de l?homme. On peut rappeler les tueries des adeptes du Kung-Fu  en 1985 et celle des manifestants pacifiques le 10 août 1991.


Au vu de l?impressionnant « tableau de chasse » de Didier Ratsiraka, les Malgaches se sont souvent étonnés du silence des ONG internationales de luttent contre les Droits de l?Homme. Ainsi, le cas de Madagascar n?a que rarement été cité à la Commission des Droits de l?Homme de l?ONU. Amnesty Internationale, dans ses différents rapports et communiqués, n?a pas montré un très grand enthousiasme à décrier les conditions de détention qui sont déplorables depuis longtemps pour des milliers de prisonniers. Aucune mention des assassinats perpétrés le 10 août 1991 également.


Dans l?indifférence générale et avec un soutien fraternel de la France, ses crimes n?ont pas empêché Ratsiraka, de revenir au pouvoir en 1995 après le court épisode Albert Zafy.


Bien qu?on puisse se réjouir qu?Amnesty International sorte maintenant de son mutisme et s?intéresse enfin aux prisonniers malgaches, on remarque qu?elle l?a fait à chaque fois que le lobby de la défense était fort, en particulier auprès de la communauté malgache de France. On peut s?étonner qu?elle ne traite que de certains accusés qui sont finalement bien lotis et pas forcément des plus recommandables.