mardi , 19 mars 2024
enfrit
Visite guidée dans la tanière de Nono Manisa, où l'artiste nous livre ses souvenirs, entre ses anecdotes et ses "dérives".

Intrusion chez Nono le sculpteur.

Tout le monde connaît Nono « lava volo », dans les environs de « la Cigale », non loin de l’imprimerie catholique à Tana. Nous avons pris soin de lui annoncer notre arrivée, et le jour venu, c’est un personnage jovial et accueillant que nous rencontrons. Queue de cheval, lunettes, le sculpteur nous mène nonchalamment vers son antre ; sous une arche en brique cuite, il lance : « mon Champs élysées ! » Puis, après 15 marches d’escalier, un palier, et 9 nouvelles marches, nous y sommes. Une oeuvre de Temandrota est pendue à l’accueil, « j’ai dit à Tema : prête-moi ça, ampindramo ahy ity horeveko. Je n’aurais jamais les moyens de le lui acheter !!! ». Devant une petite porte qui donne droit sur une kitchenette, une sorte de caisson, la « banque » où il range ses matières premières : « ato no bankin’ny kakazo be ». On y trouve du bois non travaillé apporté par ses nombreux amis, des racines, des branches sèches, certaines venant de lointaines contrées. Après avoir traversé une cuisine toute simple, nous nous trouvons dans le lieu qui sert à tant de choses à la fois : studio, atelier, salle d’expo et chambre.


Son univers est composé d’une sorte de commode sur lequel gisent quelques magazines, une espèce de caisse trapézoïdale, sa « boîte à souvenirs » où sont accrochées de petites sculptures, quelques petites chaises, un tabouret avec ses outils, une bibliothèque en bambou contenant plusieurs dizaines de bouquins, et un lit bas avec à ses pieds une rangée de paires de chaussures et un bac à linge. A côté, une radio. Une fenêtre juste après l’entrée donne sur sa douche personnelle, qui se situe en fait sur le toit, en plein air, un beau panorama. « J’adore ma douche, j’ai chaud quand je prends un bain là ».


En nous invitant à nous asseoir, Nono nous montre une de ses ½uvres les plus récentes : « je viens de le faire cette nuit. J’ai mis dessus (une sorte de lampe de chevet) ce bout de sachet en plastique que j’ai trouvé. J’ai aussi trouvé ces touffes de cheveux, les miens, et je les ai mis ensemble. Et comme cette nuit j’ai allumé une bougie qui coulait -qui a d’ailleurs failli me brûler mes cheveux-, j’ai versé l’excédent dessus et voilà le résultat ».


Nono Manisa est un ancien guide scientifique qui a sillonné presque tout Madagascar. C’est à cette époque qu’il trouve sa vocation : la sculpture. Un jour, lorsque le taxi-brousse dans lequel il voyage tombe en panne, il s’assied pour observer une souche. Une image apparaît alors. « C’est en chemin que j’ai appris à sculpter. Au début, je me servais d’un couteau suisse que j’ai d’ailleurs toujours en poche ». Ses outils se sont aujourd’hui diversifiés : du matériel de menuisier, machette et perceuse. Quant aux matériaux qu’il travaille, ce sont le tissu, le fer, le bois, mais également du plâtre, du papier et du carton, et même des rasoirs usagés. Bref, il se sert de tout ce qui peut être récupéré.


Il nous montre alors une de ses ½uvres : pachy. « C’est un pachyderme, mélangé avec du baobab, mélangé à l’ornitho(rinque) et à un lémur, le tout monte sur un vélo. Il a voulu apprendre à nager et porte un tuba, s’est blessé à cause des gens qui ont voulu le tuer… ». « J’expose ce que j’ai réalisé directement dans cette chambre. Les artistes ne sont pas toujours forcés d’exposer au CCAC. Ils doivent faire preuve d’un peu d’imagination, et ne pas être limités aux salles d’expo habituelles. »


Nono nous emmène ensuite au c½ur de ses souvenirs en nous montrant toute une série de photos : « j’ai rencontré Bob et Carter (des bandits renommés) à Marovoay », se souvient-il.


En me tournant vers sa bibliothèque personnelle au-dessus de laquelle trône son portrait au crayon, je lui demande quel genre de livre aime-t-il lire. « Voilà une question que j’aime, la question que j’attendais, lance-t-il. Je n’aime pas les gens qui à chaque fois me demandent, Nono, es-tu marié, as-tu des enfants ».


En parlant de bouquins, notre sculpteur est intarissable. Dans ses rayons : un dictionnaire danois-français, un document d’histoire suisse, les instructions à la critique historique ? entre autres ; et un document unique : « Les Hova et la Monarchie Merina » signé Ramanisa AJ Roland, 1981. Son Mémoire de licence présenté à Fribourg en Suisse, « pour l’obtention du grade de licencié en lettres ». « J’y étudie comment est apparue la bourgeoisie nationale malagasy, bien avant le roi Andrianampoinimerina : sous forme de castes. Et même sur la côte, il y avait également des projets nationaux. Je ne fais pas de l’ésotérisme, mais c’est une monographie, tu comprends ?  » Et en parlant du célèbre roi, Nono nous en fait une petite iconographie : « c’est un gars rondelet. Il n’a pas pu lancer un javelot aussi loin, pour atteindre une centaine de mètres ? », pour dire que ce roi était comme tout un chacun.


En essayant de parler de ses futures réalisations, Nono Manisa nous confie qu’il est incapable de faire des projets, il n’en a aucun, il n’en veut pas. Ses sculptures, c’est comme sa vie quotidienne : il n’a aucun projet en tête. « Ce que je fais c’est des dérives », à la manière d’une embarcation qui suit le courant d’une rivière. « Je sors, je trouve toujours un endroit où aller, j’aime être partout, je n’ai pas besoin de programme, une sorte d’improvisation de la vie. Tu entres dans n’importe quel bus, des fois tu reçois des coups de poing dans la gueule. C’est ça la vie. Je te donne un exemple de dérive. Une fois, j’ai pénétré par hasard dans l’avion de Xavier Ratsiraka (le fils de l’ex-président de la République, c’était en pleine période de crise, en 2002), j’arrive à Maroantsetra en pleine nuit, je vois des miliciens sur la plage qui tiraient à la fois sur des cocos et sur des gens. Je me suis demandé « kilalao ve izy ity? », est-ce un jeu? Arrivé à Tana, je raconte à mes potes, qui me demandent comment ai-je pu me fourrer dans une telle situation et m’en sortir comme si de rien n’était ? »


Sur sa lancée, il nous raconte une autre anecdote. « J’ai été censuré au Palais des Sports au cours du « Dialogue entre les Cultures » ! Nous (moi et ma troupe) avons mis en scène des contes tout en chantant, j’ai orchestré une chorégraphie, les lumières et la déco, avec quelques sculptures. Il y avait une scène à propos de la création du monde, montrant des « ombe » (des boeufs) et des « ombe » (olombelona, les hommes), qui, lors de la création du monde, se sont mariés. Notre danse montrait la création du monde, ombe et ombe s’accouplaient, comme dans le récit. Et pourtant, je me suis déjà fait une auto censure : sur scène, j’ai mis les filles ensemble pour ne pas être tralala. Résultat : les organisateurs ont taxé ma scène de réservée aux lesbiennes ! »


Visiblement intéressé par les contes, Nono s’est mis à l’écriture de poèmes et de nouvelles. Il commence aussi à chanter un peu, pas comme tout le monde, mais en mettant en musique des légendes.


Après cette riche entrevue, en prenant congé, Nono arracha de sa « boîte à souvenirs » les deux dernières petites sculptures qui y étaient accrochées. « Vous n’allez pas partir comme ça sans rien en souvenir ? tiens, il faudra que j’en fasse de nouvelles, pour les autres qui viendront après vous ? »