dimanche , 5 mai 2024
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Cette analyse tente de mieux comprendre la crise actuelle à Madagascar et en particulier le rôle des médias et de l'opinion internationale. Dans la mesure du possible, elle est basée sur des faits concrets.

Analyse de la crise à Madagascar et du rôle de la presse et de l’opinion internationale

Ainsi, pour mieux comprendre l’origine de la crise, il faut relire son histoire récente. Madagascar est une jeune démocratie. Le pays a connu l’indépendance en 1962 suite à un accouchement dans la douleur. Les gouvernements qui ont suivi n’ont pas su apporter à la population une vision, une réponse concrète aux attentes de la population. De directoires militaires en démocraties socialistes, le pays est depuis les années 80 retombé sous la dure loi des redressements économiques imposés par ces bailleurs.

L’espoir Ravalomanana

L’arrivée en 2002 d’un outsider a radicalement changé la donne. Marc Ravalomanana n’est pas issu de la caste politique proche de la France. Sans toutefois affronter l’ancienne puissance coloniale, il a tout de suite montré la couleur. Il a rapidement amorcé des rapprochements avec les États-Unis, l’Allemagne, le Proche-Orient et l’Asie, le Japon et la Chine en particulier. L’annulation d’une grande partie de la dette extérieure(1) a également allégé un poids qui pesait injustement sur les Malgaches même si le contrôle du FMI et de la Banque Mondiale sur les affaires de l’Etat n’a pas disparu.

Marc Ravalomanana a instauré en 2004 un changement radical de perspective en présentant la « vision de Madagascar »(2) et en publiant l’année suivante un programme de mise en œuvre de cette vision à l’échelle nationale, régionale et communale: le « Madagascar Action Plan » ou MAP.(3). Renforcée encore dans le MAP, la politique de désenclavement par la construction et réfection des infrastructure routière a été lancée dès 2002. Chaque année, c’est plusieurs milliers de kilomètres de routes qui ont été réalisés. Dans le domaine de la santé, des centaines de dispensaires ont été ouverts ou réhabilités, des milliers d’écoles parsèment désormais le pays permettant à celui-ci de passer à un taux d’inscription en primaire de 98% après être tombé à moins de 30% avant 2000 (4).

Ancien businessman, déjà milliardaire à son arrivée au pouvoir, Marc Ravalomanana est un apôtre de la libre entreprise. Il a cependant placé au centre de ses préoccupation la reconstruction du système social défaillant.

Sur le plan politique, Madagascar a également fait des avancées importantes avec la mise en place effective des 22 régions de l’île, remplaçant les 6 provinces jugées trop éloignées des réalités de la population. Chaque région s’est vue donnée une autonomie et des objectifs. Des efforts contre la corruption de l’appareil d’Etat ont été entrepris et salués par des résultats encourageants de « l’index de perception de la corruption »(5). Sur le plan international finalement, malgré l’apparente incompétence qu’on lui prêtait à son arrivée au pouvoir, Marc Ravalomanana a su renouer avec l’Union Africaine, avec les organismes de coopérations régionaux et a tissé des liens dans le monde entier. On comprend mieux l’importance qu’il attache à son avion présidentiel et au prochain sommet de l’union africaine qui est prévu à Madagascar en juillet.

Mais, est-ce que Marc Ravalomanana a réussi son pari. A-t-il apporté la richesse attendue? Sur ce plan, l’opinion est plus largement divisée. Le prix de l’essence à la pompe est passé de 500ar à près de 3000ar en 2008 (soit environ 2.25€ le litre) alors que les salaires n’ont augmenté que faiblement. Les taxes sont toujours très lourdes pour l’import de matière première ou d’intrants. La concurrence des matières finies asiatiques est mortelle pour les petites entreprises dans plusieurs domaines. Les zones franches qui fournissent la plupart des emplois en zone urbaines ouvrent et ferment au gré des conjonctures. Bref, la vie est dure. Surtout en ville.

Dans la campagne, c’est autre chose. Bien que les problèmes d’accès aux soins soient encore loin d’être résolus, le visage de la campagne commence à changer. L’implication du Président est là encore essentielle. Et elle ne date pas d’hier. Les entreprises TIKO appartenant au Président avaient déjà construit un tissu économique et social solide là où elles se sont implantées (6).

Les Malgaches veulent-ils vraiment se séparer de leur président?

Alors, pour en revenir au sujet de notre analyse, les Malgaches veulent-ils vraiment se séparer de leur Président? Malgré la difficulté de la vie, malgré le fait que son candidat à la mairie d’Antananarivo ait été désavoué, malgré les nombreux reproches qui lui sont fait dans la presse et dans les discussions de café, je pense sincèrement que ce n’est pas le cas. Pourquoi ?

Les Malgaches voient les actions concrètes du gouvernement: les ponts détruits en 2002 ont été réparés à la vitesse éclair, remplacés par des ponts neufs, de nouveaux ponts ont été construits dans tout le pays, les routes sont réparées, les problèmes trouvent des solutions, etc. Ils continuent donc à voir en leur Président celui qui peut les mener vers une vie meilleure (7).

Alors qui sont ceux qui veulent prendre le pouvoir ?

Les critiques acerbes flottent dans les médias (surtout francophone mais j’en reparle plus loin) et sur le Net (8) depuis que Marc Ravalomanana a été élu Président. Ces critiques viennent en très grande majorité de ceux qui ont été directement impactés par l’arrivée de Marc Ravalomanana au pouvoir, c’est à dire l’équipe de l’ancien dirigeant Didier Ratsiraka et ceux qui n’ont pas pu trouver une place au pouvoir.

On lui a tout reproché: d’être analphabète, de détester la France, de vouloir s’enrichir sur le dos des Malgaches, de vendre son pays, etc. Je n’ai rien à voir avec Marc Ravalomanana que je n’ai rencontré qu’une seule fois lors d’une visite de celui-ci à Genève ou je réside actuellement. Mais, au vu des réalisations, comme tous les Malgaches (ou presque), j’aimerais que l’on apporte des preuves et des faits concrets plutôt que de véhiculer des rumeurs souvent sans fondement.

La dernière rumeur en date est la fameuse affaire « Daewoo ». En quelques jours, le monde entier était informé que Madagascar vendait, louait ou donnait suivant les versions, son pays pour une bouchée de pays à un industriel Sud-Coréen. L’horreur pour les Malgaches. Le gouvernement malgache et la société en question ont rapidement apporté un démenti: bien que des investigations aient été en cours à Madagascar, aucun accord n’avait été signé et surtout pas pour la surface décrite dans l’article initial(9). Dernièrement, « le Ministre de la Réforme Foncière, Marius Ratolojanahary, a souligné que les procédures sont encore en cours. Cet opérateur a fait une prospection faute d’une base de données foncière dont l’établissement est en cours dans le cadre de la réforme foncière… Tout promoteur de projet notamment Malagasy est incité à se lancer dans l’agri-business, une exploitation agricole à grande échelle, qui est la base de développement du pays. En effet, seuls 8% de terrains arables sont exploités jusqu’ici, a révélé le Premier ministre Charles Rabemananjara, lors de la visite des infrastructures destinées à accueillir le Sommet de l’Union Africaine hier. » (10)

Le rôle de la presse

Comme je l’ai indiqué plus haut, la presse mondiale, et principalement AFP, a relayé en quelques heures l’article de Financial Times. Pourquoi s’intéresse-t-on subitement autant à Madagascar alors qu’on en parle jamais? Plus tard, après les émeutes du 26 janvier, les titres des articles de la presse francophone reprenaient allègrement ceux des dépêches d’AFP : « Madagascar: émeute anti-régime», « Grave crise sociale à Madagascar », « les émeutes dégénèrent ». La presse alémanique titrait différemment « Antananarivos Bürgermesteir fortert den Präsident heraus » alors que la BBC annoncait « Rioters set fire to Madagascar TV », « Madagascar protests turn violent », etc. Hier et aujourd’hui, la presse mondiale présente une seule et unique image de Madagascar: un pays ou règne le chaos en se demandant qui des deux, le Maire ou le Président gouvernent le pays. Et pourtant, à Madagascar l’issue est claire: le maire n’a pas l’appui populaire qu’il prétendait, le Président a demandé à la justice de faire son travail. « He is back to work ! »

En conclusion, je me demande pourquoi on ne peut, pour une fois, faire confiance à une jeune démocratie et l’aider à avancer plutôt que de véhiculer des clichés colonialistes. Pourquoi la communauté internationale en général et la presse en particulier n’a pas aussitôt condamné la tentative de prise de pouvoir par la violence? Le véritable espoir pour Madagascar est d’être capable, dans les prochaines années de se construire une alternance politique valable, possibilité que le jeune maire d’Antananarivo a fortement hypothéqué d’un coup de poker malheureux.

 

Par Christian Lehmann, Madonline.com, 01-02-2009

 

Sources:

  1. La dette est passée de 4.6 milliards de dollars en 2000 à 1.4 milliards en 2006. Source « The World Bank Group », www.worldbang.org

  2. « Un vaste territoire et un climat favorable. Un énorme potentiel, élevage, pêche, mines, bois. Le paysan malgache est travailleur, intelligent, facile à former. Madagascar est parmi les écorégions les plus riches du monde avec une biodiversité au taux élevé. Les aires protégées et les milliers de kilomètres de plage. Des valeurs culturelles fortes et préservées… » voir http://www.madagascar-presidency.gov.mg/index.php/item/256

  3. www.madagascar-presidency.gov.mg/MAP

  4. Source « The World Bank Group », www.worldbang.org

  5. « L’Index de perception de la coruption », CPI, est passé de 1.7 en 2002 à 3.4 en 2008. Source Transparency International. www.transparency.org

  6. « With 3,000 permanent staff along with collateral employment of more than 100,000 fellow Malagasy across the country, TIKO has launched a « rural-urban partnership » program that aims to network farmers with material and technical assistance, marketing centres and organise the surrounding farmers in a highly profitable network that supplies quality dairy, animal feed and oil products to shops, supermarkets and wholesalers. Farmers and agribusinesses are linking up in mutually beneficial arrangements that offer producers lower market risk and greater access to inputs and financing, and ensure processors a guaranteed supply of farm produce. » in Dina Rakotonirina Andersson, « Partnership between agribusiness and peasants: Its implication on Rural Development, The case of TIKO in the Vakinankaratra region of Madagascar », Master thesis, Swedish University of Agricultural Sciences, p. 9, 2002. http://www.sol.slu.se/publications/masters_28.pdf

  7. Exrait d’un témoignage de Badokely, travailleur social: « … je peux témoigner de la pauvreté qui existe dans notre pays, des difficultés auxquelles la population fait face au quotidien. Il y a des situations poignantes où la population n’est même pas consciente de ses droits basiques. Toutefois, de l’avis des personnes interrogées, qui n’ont pas d’autres moyens de s’exprimer et de faire entendre leur voix, il y a un changement dans leur vie. L’accès géographique aux services sociaux s’améliore, les écoles et centres de santé se rapprochent d’eux, il y a de nouveaux puits et ils peuvent donc avoir de l’eau potable… » http://www.topmada.com/2009/02/01/temoignage-poignant-d%E2%80%99un-travailleur-social-sur-les-realites-a-la-campagne

  8. La dernière en date (hier), rédigée par Jean-Luc Raharimanana, écrivain d’abord sympathique, connu pour ses rédactions extrémistes donne sa vision des « raisons de la colère contre le président de Madagascar ». Voir http://www.rue89.com/2009/01/31/les-raisons-de-la-colere-contre-le-president-de-madagascar

  9. Daewoo to cultivate Madagascar land for free, Song Jung-a and Christian Oliver, Financial Times, 19 novembre 2008, http://us.ft.com/ftgateway/superpage.ft?news_id=fto111920081227033091

  10. Source: Navalona R. Midi Madagascar n°7738 du Mercredi 21 Janv 2009 p.5