vendredi , 3 mai 2024
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Grégoire est parmi les 300 réfugiés du Nord obligé à fuir vers Antananarivo: il est sur la liste noire du farouche Coutiti, anti-Ravalomanana notoire.

La terreur oblige certains militants à fuir leur province.

Originaire d’Ambanja (Nord-Ouest), Grégoire est un fonctionnaire pro-Ravalomanana. Il a été parmi les victimes de la « chasse aux sorcières » menée par le Lieutenant Colonel Coutiti, fidèle à l’Amiral,
Didier Ratsiraka. Il s’est difficilement échappé pour gagner Tananarive. Interview.

Question : Qu’est ce qui vous a poussé à quitter Ambanja ?

Réponse : Le 03 avril, les milices de Coutiti m’ont appelé par téléphone et m’ont menacé. Ils disaient qu’ils viendront bientôt à Ambanja pour chasser les militants de Ravalomanana. Le 11 avril dernier, la rumeur circulait comme une traînée de poudre que le Lieutenant Colonel Coutiti était silencieusement arrivé à Ambanja. Il était 6 h du matin. J’étais encore sur mon lit. Un militant pro-Ravalomanana m’a réveillé et informé qu’il fallait immédiatement que je parte. Il m’a dit que mon nom se trouvait sur la liste noire. Alors que Coutiti était encore en train de pourchasser d’autres militants, je me suis enfui en cachette.

Q : Et où vous êtes-vous allé ?

R : Le jour même de cette chasse, je me suis caché dans la forêt des environs immédiats d’Ambanja. J’entendais des coups de feu çà et là. Comme je trouvait qu’il faisait plus calme là-bas, j’ai continué à marcher à pied et je suis resté pendant 4 jours et nuits dans la forêt. J’ai continué à marcher sans savoir avec précision où j’allais.

Q : Qu’avez-vous mangé et qu’avez-vous fait pendant ces 4 jours et nuits?

R : Quand je suis parti, j’ai dû laisser derrière moi ma femme et mes enfants. Nous avons hâtivement
dressé un programme. Elle a passé le message à son frère. C’est ce dernier qui m’a apporté de quoi manger dans la forêt le premier jour. Je lui ai ensuite indiqué où je me cacherais pendant les 3 jours suivants. Je changeait tout le temps de lieu pour ne pas être localisé. Il me rejoignais ensuite dans ces endroits où je dormais la nuit sur le sol sans matelas ni couverture. Je n’avais pas eu le temps de préparer mon bagage en partant d’Ambanja. J’ai gardé mes habits sans pouvoir me changer. Comme il fait chaud là-bas, je n’ai pas vraiment eu besoin de couverture mais j’ai été piqué par les moustiques. Le dernier jour, j’avais décidé de continuer mon chemin et je suis tombé malade. J’ai pris la direction d’Antsohihy où je devais prévenir la prochaine attaque de Coutiti aux militants pro-Ravalomanana.
Il m’a fallu 10 heures de marche à pied pour arriver à Antsohihy.

Q : Comment est-ce que vous avez fait pour arriver dans la capitale ?

R : Par hasard, j’ai rencontré une connaissance qui ma informé qu’un des leader du KMMR (Comité soutenant Marc Ravalomanana) d’Antsohihy était sur le point de s’enfuir lui aussi. Je lui ai demandé de passer mon message à ce dernier pour qu’il me rejoigne sur la route. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’étais heureux de le retrouver sur cette route. Il m’a emmené en voiture avec lui. Nous avons pris la direction d’Antananarivo.

Q : Et votre femme et vos enfants, comment font-ils pour vivre ?

R : Ils sont toujours à Ambanja. Ça fait presque un mois et demi que je les ai quitté. Vous savez à quel point j’en suis malheureux. Nous nous téléphonons tout le temps pour se communiquer des nouvelles. Ils vont bien. Mais mon problème, c’est que mes enfants étudient dans des écoles privées payantes. Or, mon supérieur m’a bloqué mon salaire depuis 6 mois maintenant. C’est un fidèle de Ratsiraka. Il a gardé chez lui tous mes bons de caisse. Heureusement que, à Antananarivo j’ai pu tout de même toucher toucher mes 6 mois de salaire. C’est le seul point fort de ma fuite à Antananarivo. Or, un autre problème se pose : je ne peux pas envoyer de l’argent à ma famille. Elle doit s’endetter jusqu’à mon retour. Je rembourserai après.

Q : Vous comptez rentrer quand ?

R : Je rentre dès que possible. Mais je trouve que la date de mon départ est encore loin, très loin. Tant que Coutiti sera vivant, tant que Ratsiraka puisera son pouvoir dans la violence et dans la haine, tant que le Gouverneur de la province d’Antsiranana sera en place, tant que les barrages antiéconomiques et le problème de ravitaillement en carburant existerons, nous risquons notre vie et notre départ est incertain.

Q : Comment est votre train de vie à Antananarivo ?

R: On s’ennuie beaucoup ici bien que nous soyons en bonne sécurité. Le matin on se réveille. On attend à midi sans rien faire pour le déjeuner et la nuit pour le dîner. Au cours de la journée, nous nous réunissons dans le bureau de la cellule de crise pour les réfugiés de Diégo. Nous y attendons des soutiens et aides. En bref notre vie est monotone. Nous en souffrons beaucoup. Réfugier ici n’a jamais été notre souhait. Ça fait des mois et des mois que nous sommes ici. Nous n’avons pas de famille à
Antananarivo et heureusement que le ministère de la
population nous a pris en charge avec des donateurs privés et publics.

Q : Les intimidations peuvent-elles vous conduire à changer de camps politique ?

R : Non. Jamais. Jamais. Jamais. Ratsiraka nous tue petit à petit. Nous luttons jusqu’au bout pour l’ ui. C’est l’avenir qui nous importe. Néanmoins, nous remercions les Malgaches et les étrangers qui nous ont aidé. Nous avons pu collecter jusque là une somme de 20 millions de Fmg environ ( env. 3000 Euros) en espèce et des tonnes de denrées alimentaires en nature.