dimanche , 5 mai 2024
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Depuis le début de la crise malgache, la position du Quai d'Orsay a soulevé de nombreuses critiques. Les derniers évènements permettent de comprendre la stratégie et les mobiles de la France.

La crise malgache téléguidée par la France ?

Les faits

Le 10 juin, à Dakar, Didier Ratsiraka, le Président sortant, et Marc Ravalomanana, le nouveau Président, doivent se rencontrer pour la deuxième fois. Ils ne se voient pas. L’accord attendu n’est pas signé et pourtant les jeux sont faits : Ratsiraka s’expatriera et Ravalomanana acceptera de faire entrer d’autres forces dans un gouvernement de « réconciliation ». Le 13 juin, alors qu’il clame vouloir « contre-attaquer », Ratsiraka s’envole pour Paris dans un avion affrété par la France qui l’aura attendu 2 jours. « Pour économiser l’argent d’un aller-retour inutile» expliquera Ratsiraka. Ses dires confirment donc une mission préméditée française d’évacuation du président sortant et de ses proches qui disposent de visas long-séjour alors qu’ils sont considérés comme des terroristes par le gouvernement et le peuple malgache. L’arrêt immédiat des actions en province menées par les partisans de Ratsiraka s’enchaîne dès lors. Les gouverneurs sécessionnistes choisissent la fuite libérant ainsi une population encore terrorisée. La crise a-t-elle donc été complètement artificielle? Elle a fait en tout cas des milliers d’innocentes victimes.

Deux jours plus tard, le 16 juin, Marc Ravalomanana dissout le gouvernement mais garde son premier ministre, Jacques Sylla et lui demande de former un nouveau gouvernement de « réconciliation nationale » dans lequel on trouvera un quart de ministres proches de l’ancien Président. On parle même d’amnistie du Président sortant. Si Marc Ravalomanana agit ainsi c’est que la pression est forte. En effet, ce vendredi 21 juin, l’organe central de l’OUA doit se réunir à Addis-Abeba pour discuter de la solution à donner à la crise malgache. On attend une reconnaissance définitive du nouveau Président comme le laisse supposer, par exemple, la déclaration du Président sénégalais, Abdoulaye Wade. Celui-ci
prédisait mardi, à l’issue d’une rencontre à la Maison-Blanche avec le président américain, George W. Bush, une « normalisation » de la situation à Madagascar « dans les prochains jours ». Mais quel est donc le pouvoir réel des « pontes » de l’OUA? Tout simplement celui de « légitimer » ou de lever l’embargo actuel de l’Ile.

L’embargo

Tout porte à penser que la France « téléguide » la crise et en particulier l’embargo depuis le début ce qui rappelle la situation de bien des confrères de la « Franceafrique ». En effet, la soi-disant « guerre civile éthnique » n’a été qu’un feu de paille destiné à justifier des mesures anti-économiques sur le terrain (les barrages) et, plus grave encore, au niveau international. La première mesure est venue des partisans de Ratsiraka alors à la tête de la société Air Madagascar sous la forme d’une mise au sol de l’avion loué par cette compagnie. La raison évoquée : « les risques de sécurité ». Même raison cette fois-ci évoquée par le Quai d’Orsay pour dissuader les autres compagnies (Air France, Air Austral et Corsair) de desservir l’Ile.
Et jusqu’à présent également, les fonds publics de Madagascar à l’extérieur sont gelés comme le soulignait le Président Marc Ravalomanana à sa rentrée du dernier sommet de Dakar.

Une des plus grandes problématiques du nouveau gouvernement a donc été de contourner cet embargo. Air Madagascar a trouvé un autre avion à louer. Marc Ravalomanana a réussi à faire desservir le pays en pétrole par les ports « libérés ». Mais, s’il est maintenant pratiquement maître du terrain à Madasgascar, il n’a pas de poids sur l’échiquier mondial. C’est seulement grâce à la montée des critiques et à la reconnaissance politique de la Suisse, de la Norvège mais surtout des USA, que Marc Ravalomanana peut se permettre de contraindre la France à écouter, un peu, la volonté des Malgaches.

La guerre de la communication

Outre les menaces et pressions directes ou indirectes, le nouveau Président a dû aussi faire face à une importante campagne de désinformation. Les grandes agences de presse, notamment AFP et Reuters, publient régulièrement des dépêches critiquant le nouveau Président ou son gouvernement et beaucoup plus rarement les agissements de l’ex-président. Par exemple, les agences critiquent, dans leurs dépêches du 19 juin, le fait que le nouveau gouvernement n’est pas assez coloré « AREMA », le partie de l’ancien Président. Mais parallèlement, les agences éclipsent totalement l’enlèvement de plusieurs partisans du président Ravalomanana dans la province de Tamatave.

Avant chaque décision importante, l’AFP publie les résultats escomptés par la France. Cette semaine, par exemple, on peut lire dans les dépêches que Marc Ravalomanana a accepté d’amnistier Ratsiraka alors que, selon des sources proches du Président, seule une proposition émanant du Quai d’Orsay est à l’étude.

Les mobiles de la France

Si le rôle et la stratégie de la France sont clairs dans la crise malgache, ses motivations le sont également. Madagascar est classé parmi les pays les plus pauvres du monde. Pourtant c’est un bastion important de la Francophonie dans lequel la France est encore toute puissante. Jusqu’à présent, tous les ministres ont leurs conseillés français. Tous les textes officiels sont disponibles en français. On s’est même étonné de voir le Président Marc Ravalomanana préférer utiliser un traducteur pour s’adresser aux journalistes français! Les sociétés coloniales nationalisées dans les années 70 sont maintenant privatisées et vendues à des sociétés… françaises. Bref, Madagascar et la France sont liés de manière très importante.

Madagascar reste aussi un pion important sur l’échiquier régional et africain. Une solution trop rapide à la crise aurait pu faire tache d’huile dans tous les pays africains qui rêvent d’en faire autant. C’est peut-être aussi une raison pour laquelle la diplomatie internationale ne s’est pas trop dépêchée à y trouver une solution. La diplomatie, mais aussi les grands groupes français comme le groupe Bolloré qui possède de nombreuses filiales en Afrique. Les groupes français contrôlent plus de deux tiers des investissements étrangers à Madagascar et notamment dans les domaines clés comme la télécommunication, l’eau et l’électricité ainsi que les industries de transport. Or on soupçonne, au travers des affaires en cours, que l’argent gagné en Afrique par certaines entreprises françaises permet d’alimenter les caisses noires des partis français.

Terrorisme

La garde présidentielle est une unité d’élite armée et entraînée par la France. C’est elle entre autres qui a permis à Ratsiraka de maintenir la tension dans les provinces.

Cette semaine, le service de sécurité Tanzanienne a arrêté un avion transportant des mercenaires francais et qui allait illégalement en direction de Madagascar. Les agences de presse et notamment l’AFP s’empresse alors de publier plusieurs dépêches pour mettre la responsabilité sur le dos de Ratsiraka. Parallèlement, le Quai d’Orsay s’empresse de dépêcher sur Dar Es Salam une équipe pour « arrêter » les coupables. Cet empressement est-il sincère? Ce n’est pas l’avis de ceux qui viennent de d&eacute
;poser une plainte au Conseil de l’Europe, plainte pour dénoncer le soutien tant logistique que financier, que la France apporterait aux terroristes dans cette crise.

Bien qu’elle se soit mise en retrait derrière l’OUA, la France a un mobile clair pour empêcher la « libération » de Madagascar, « libération » déjà tentée dans les années 70 et en 1991. Elle en a aussi les moyens. Pourquoi devrait-elle se gêner ?