samedi , 20 avril 2024
enfrit
Le vol de zébu est à combattre. Encore faut-il en avoir les moyens et observer fidèlement les règles de bonne gouvernance. Ce qui n'est pas toujours le cas.

Le « kabary fototra » et le « jiro », des formes de pression

Pourchasser les « dahalo » ne peut pas éradiquer le mal qui est né en partie de l’enclavement et des difficultés de communication entretenant l’impunité. Ce sont les avis partagés par un prêtre et un conseiller municipal, deux citoyens de la commune d’Isoanala, fivondronana de Betroka. Interview.

Madonline: Le Sud est réputé pour son manque de sécurité; qu’en est-il à Isoanala?

Le religieux: Je donnerai une appréciation mitigée malgré la présence de la Gendarmerie. Les habitants d’Isoanala ne sont pas satisfaits de leur service, les obligeant à recourir à des solutions à l’amiable comme le « kabary fototra », une sorte de convention.

Madonline: Comment cela?

Le conseiller municipal: Généralement les gendarmes sont toujours à la traîne. Or, aussitôt après un vol de zébu, on les avertit toujours, pendant que les villageois poursuivent les brigands en suivant les empreintes laissés par le troupeau. En l’absence des forces de l’ordre, les poursuivants et les familles des voleurs négocient et procèdent au « kabary fototra » pour faire vite et pour que l’affaire ne soit pas remis entre les mains du tribunal. Les zébus volés sont récupérés et les voleurs sanctionnés.

Madonline: Apparemment, l’affaire est donc close?

Le religieux: Non, car dans le « kabary fototra » ou convention – à l’origine familiale mais étendue au vol de zébus, la médiation exige que les plaignants et les présumés coupables doivent chacun aux médiateurs un certain nombre de têtes de zébus. La victime contribue par exemple pour un zébu tandis que l’autre camp apporte trois têtes de zébus. A l’échelle du vol de zébus, cette pratique nuit et lèse la victime mais aussi les familles des présumés voleurs; elle encourage tous les abus au détriment de la loi. Le procédé enrichit certains de manière douteuse et entretient un atmosphère d’insécurité.

Le conseiller municipal: Il importe que la confiance soit rétablie entre les administrés et l’Etat. Les familles des victimes soupçonnent les gendarmes de connivence avec les voleurs pour que l’affaire ne monte en haut lieu.

Le religieux: Les gendarmes ne sont pas les seuls incriminés, la Police et les militaires n’inspirent non plus ou ne jouissent plus de la confiance des victimes des « dahalo » ni des habitants d’Isoanala en général. Le cas d’un vieillard qui arrive à peine à courir, habitant le village de Katrafay, commune d’Isoanala, à qui des militaires et des agents de police réclament l’application du « kabary fototra », sinon celle de la loi, est révélateur de l’étendue de la corruption. Il faut reconnaître que des personnes malintentionnées usent et abusent de ce qu’on appelle à Isoanala, le « jiro ». Pour accuser quelqu’un de voleur de zébus afin qu’il débourse, je convoie mon troupeau ou le fait faire par un tiers, jusque devant le portail d’un périmètre dont je connais le propriétaire. Ensuite je cache mon troupeau en prenant soins d’effacer toutes traces d’empreintes et j’avise les forces de l’ordre. Charge à elles de tirer le meilleur parti à mon profit sur la personne prise au piège.

Madonline: Les militaires sont-ils donc de la partie?

Le religieux: Malheureusement oui. On y rencontre des soldats armés qui convoient des troupeaux vers Betroka, une semaine durant. En cours de route, ils dépouillent les propriétaires de fusils sans chercher à savoir ceux-ci sont en règle vis-à-vis de la loi et sans aucun motif sinon l’intimidation pour obtenir de quoi manger ou de l’argent ou un zébu.

Le conseiller municipal: On aurait aimé que la circulation de ces soldats hors de leur camp soit contrôlée car on doute fort que leur mission ne soit dans les règles.

Madonline: Où en est-on des pièces d’identité boucle d’oreille du bovidé?

Le conseiller municipal: Très peu en sont concernés.

Madonline: Comment faites-vous alors quand vous vendez vos zébus?

Le Conseiller municipal: Généralement on est à la merci de la bureaucratie pour la paperasse. La régularisation du passeport du bovidé auprès du président du fokontany et le visa du vétérinaire se monnaient. On doit ensuite voir le Maire qui exige aussi sa part. Ce qui fait un total de près de 300 000 fmg à 400 000 fmg au moins (soit entre 45,52 et 60,69 euros), soit la moitié du prix de vente d’un zébu qui vous échappe.

Propos recueillis par RAW